Alexandra Cousteau : “L’urgence est là, nous n’avons que dix ans pour agir”

Alexandra Cousteau : “L’urgence est là, nous n’avons que dix ans pour agir”

Son grand-père lui a légué l’océan en héritage. Alexandra Cousteau, à 43 ans, aime la sole meunière mais n’en mangera plus tant qu’elle n’aura pas retrouvé les fonds marins de son enfance.

GRAZIA — Vous voulez sauver les océans autrement… L’éthique de la conservation, c’est-à-dire conserver ce que l’on a, c’est bien. Mais quand il ne reste plus que 50 % de la population d’une espèce, cela n’a plus de sens. C’est insuffisant. Nous, environnementalistes, nous devons changer, évoluer vers une démarche de restauration. Scientifiquement, politiquement et économiquement, c’est très différent.

Par exemple ? Prenez le cabillaud. Jusque dans les années 70, cette espèce était abondante et source de richesse en Amérique du Nord. Aujourd’hui, les autorités considèrent qu’en préservant 6 % des stocks, on pratique une pêche durable. Si c’est comme cela que l’on mesure le succès de nos efforts, on a encore beaucoup de travail ! Ce taux a beau rester stable, il n’assure rien de durable. Alors qu’on sait que le cabillaud retrouvera 25 % de sa population initiale s’il est un peu moins péché pendant dix ans. Qu’est-ce qu’on veut ? Garder des espèces en petit nombre ou bien retrouver une abondance ?

Vous êtes végétarienne ? Non. Mais je ne cuisine plus de viande à la maison, et cela fait longtemps que je n’ai pas mangé de poisson. Pourtant j’aime ça, particulièrement le saumon, les coquilles Saint-Jacques ou la sole meunière mais je ne veux pas participer à un problème que j’essaie de résoudre. Je veux savoir d’où viennent les produits, comment ils ont été péchés. 90 % des gros poissons ont disparu pour finir en conserve ou en pâté pour chat. Aujourd’hui, manger du thon, c’est comme manger du panda. Ça me rend folle. Nous avons perdu la moitié du capital des océans et nous continuons à en perdre 1 % chaque année. L’urgence est là. Nous n’avons que dix ans pour agir. Au-delà, certaines espèces seront devenues impossibles à récupérer.

De quelle façon pouvons-nous agir ? Seules, les ONG n’y arriveront pas. Nous devons tous y penser. Il faut augmenter le nombre de zones protégées, diminuer la pollution agricole qui crée des zones mortes, lutter contre la surpêche. Regardez les menus des restaurants. A les lire, on pourrait croire qu’il n’y a qu’une quinzaine d’espèces dans la mer. Celles que l’on poursuit jusqu’au bord de l’extinction pour les avoir dans nos assiettes. Pour cette quinzaine-là, on détruit les fonds marins et on rejette des poissons morts dont on ne veut pas. C’est ridicule. Il y a des centaines d’autres espèces délicieuses, saines, locales, petites – elles se reproduisent plus vite – que l’on peut cuisiner avec le même effet et le même plaisir. Je pense que le changement viendra de ceux qui font les tendances : les chefs, les influenceurs (même si je n’ai jamais trop compris ce que cela voulait dire), la presse, les livres de recettes… Les gouvernements pourraient aussi soutenir financièrement les pêcheurs pour ne plus pêcher ces espèces sous pression, le temps qu’elles se reproduisent.

L’image d’une paille en plastique sortant de la narine d’une tortue de mer a choqué… Oui, et elle a permis d’éveiller les consciences sur le plastique. On a besoin de voir pour se rendre compte. Oceana, l’ONG avec laquelle je travaille, a fait un film sur la fraude au poisson. Il dénonçait les élevages de saumons vendus comme sauvages et teintés avec des colorants roses. Ce film a bien marché. Il faut des images qui font mal. Mais ces images, tous les plus de 30 ans en ont sûrement en tête. Ils doivent se souvenir d’une abondance perdue. Celle de leur enfance. Ce sont des souvenirs que l’on ne pourra pas offrir à nos enfants. C’est douloureux. Et puis, on commence à se rendre compte qu’un monde de plastique, sans nature, cela appauvrit et rend malheureux. Les psychologues ont même un nouveau terme pour décrire cet état, “l’eco-anxiety”.

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